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Quand on arrive sur cette petite exploitation sur les hauteurs ardéchoises, rien ne nous laisse pré-sentir qu’une ferme habite ces lieux. Mais c’est belle et bien là que plusieurs générations se sont succédées avec l’amour des bêtes et de la terre. Ce lieux a commencé comme bon nombre de fermes : des cochons, quelques lapins, quelques vaches, quelques chèvres et un peu de vigne. Une belle diversité permettant de subvenir aux besoins familiaux et de troquer le reste qu’il leur manquait (œuf, farine, fruits). Trois générations de femmes se sont succédé, avant que Pascal ne reprenne le flambeau à ses 19 ans.

Rapidement, Pascal décide de remplacer les vaches par des chèvres avec la volonté de transformer le lait et vendre en direct ses fromages. Souhaitant perpétuer les traditions et ne voulant pas dénaturer les lieux, Pascal décide simplement d’agrandir l’étable existante et de garder l’ancien corps de ferme. L’installation est simple et efficace, comme le reflète le quai de traite de Pascal auto-construit avec 35 ans d’âge, comme il aime à nous le rappeler. Pascal avait à cœur de faire dans la simplicité sans entrer dans le vis de l’investissement JA, et du productivisme qu’il pouvait voir chez ses voisins.

L’atelier chèvres est donc composé de 41 chèvres en production et d’une dizaine de chevrettes pour le renouvellement. Historiquement en race Saanen, Pascal est en transition pour passer tout en Alpine. Une race plus rustique, mais surtout avec de meilleurs taux butyreux et protéiques permettant d’améliorer nettement le rendement fromager. La production moyenne se situe à 600L/an /chèvre pour une ration composée d’orge auto-produit (600g/jours) et de tourteaux de soja (100g/jours et arrêt pendant 3 mois en plein pâturage). Pour le fourrage, Pascal reste dans la simplicité et efficacité pour la distribution : un râtelier avec une botte/semaine dans l’aire paillée et un couloir d’alimentation avec deux bottes sur le principe du libre service. Après les mises bas et pour préparer le pic de lactation, il distribue tous les matins pendant 2 mois de la luzerne en supplément. Cela lui permet de subvenir aux besoins azotés des chèvres donc d’améliorer le TP du lait et ainsi le rendement fromager. Le troupeau dispose de 8ha de pâturage, pour un chargement de 6,25 chèvres/ha permettant d’avoir une pleine ration au pâturage de fin mars à fin mai. La SAU de l’exploitation se compose de 7ha de céréales (4 ha en autoconsommation et 3ha à la vente, pour un rendement moyen de 30 à 35 quintaux/ha). 14 ha sont en prairies (dont 2ha en luzerne pure, 3ha en ray-grass/trèfle et 9ha en prairie permanente) pour un stock annuel de 26 tonnes de fourrage. Pascal n’est pas en bio sur son atelier caprin, mais c’est tout comme. Les céréales ne sont pas désherbées, car comme il nous l’explique dans sa réflexion, cela lui permet de garder un stock semencier de ray-grass permettant de faire office de couvert végétal l’hiver, et d’apport des matières organiques au sol lors du labour (pour lui, les quelques quintaux de céréales perdus par la compétition avec le ray-grass, s’équilibrent avec l’économie du désherbage et le gain de matières organiques). Pour la reproduction, Pascal dispose de 2 boucs. Pour une question de gain de temps lors des périodes des saillis, il fonctionne aujourd’hui avec l’achat extérieur de chevrettes de renouvellement issues d’IA (achat à 1 semaine à 160€/chevrette). Cela lui permet de s’affranchir de la charge de travail pour gérer la reproduction (mise en lot, rotation de boucs pour éviter la consanguinité, trie des chevrettes de renouvellement) et d’améliorer le potentiel génétique de son troupeau plus rapidement à travers l’IA.

Économiquement cet atelier caprin lui rapporte 37 000€/an de chiffre d’affaire et 9000 € d’aide PAC pour des charges opérationnelles (aliments + frais d’élevage + frais véto) s’approchant de 6500€ (216€/1000L). C’est donc un atelier assez efficace, pour un temps d’astreinte hebdomadaire (traite + alimentation + fromagerie + commercialisation) proche de 40h hors période de mises bas et 45h en période de mises bas. A cela s’ajoute les travaux saisonniers (défumage 2 fois par ans, fauche, entretien des cultures…) et l’astreinte administrative.

Le fruit de cette élevage de chèvres est bien évidemment la transformation du lait en fromages puis leurs commercialisation dans des marchés locaux. Dans la fromagerie de Pascal tout est minimaliste et donc très bien organisé. La surface totale comprenant la salle de fabrication, la laverie, la salle d’affinage et le petit magasin ne dépasse pas les 30m². Ainsi, le choix de Pascal a été de rester sur la simplicité en fabricant uniquement des petits fromages lactiques ou encore appelés « caillé aigre ». Le process est basique, l’objectif est de faire gélifier le lait en 24h grâce à des bactéries lactiques (ensemencement avec le « petit lait de la veille ») et un tout petit peu de présure puis par la suite, de mouler le caillé obtenu dans des faisselles et le saler. Il suffit de retourner une seule fois les fromages dans les moules au bout de 12h puis de les laisser s’égoutter 12h de plus pour enfin les entreposer dans une salle de séchage/affinage. Cette recette est tout simplement le recette de sa Grand-mère et comme nous l’avons vu elle fonctionne toujours aussi bien ! Au niveau organisation, Pascal a fait le choix de transformer deux fois par jour donc le lait de chaque traite. En plein pic de lactation plus de 200 fromages sont fabriqués par jour. Du côté du rendement, c’est une technologie fromagère intéressante car il faut compter environ 1L de lait pour faire 2 fromages. En résumé, sur la partie transformation, l’astreinte est fonctionnelle car elle occupe peu de temps dans la journée (2X1 heure/jour environ) dans des locaux opérationnels, très ergonomiques et pourtant qui ne reflètent pas la modernité.

Pour la partie commercialisation, la majorité de la production est vendue sur deux marchés qui se situent à environ 15min de l’exploitation. A eux seuls les deux marchés rapportent environ 600 euros par semaine avec des fromages vendus à 1,40 euros (460 fromages vendus). Cela occupe donc deux matinées mais à l’heure d’aujourd’hui c’est encore la maman de Pascal qui prend en charge cette part du travail. Le reste des fromages est écoulé à la ferme via leur petit magasin de vente et dans des commerces locaux type boucherie, primeur et restauration.

Nous ne pouvons pas omettre de parler de l’activité viticole de cette ferme car c’est tout de même la production qui apporte le plus de bénéfices économiques (66% du CA total). L’exploitation possède 5ha de vigne, dont 4 ha en appellation Saint Joseph. La vendange est vendue à la cave Chapoutier qui vinifie par la suite. Pascal garde 10% de celle-ci pour vinifier à la ferme et faire un peu de vente directe. Les cépages rouge sont exclusivement en Syrah et les blancs se composent de la Marsanne et Roussanne. Ces 3 cépages poussent sur des sols maigres, granitiques et caillouteux qui se prêtent bien aux coteaux ardéchois de la vallée du Rhône. Rapidement, nous avons pu nous rendre compte de l’importante astreinte saisonnière que demande la vigne avec tous les travaux qui rythment les saisons: Taille hivernale, entretien des échalas, entretien des terrasses, désherbage mécanique/chimique/manuel, épillonage, taille de printemps, vendange, travaux en cave. Cette production nécessite donc beaucoup de main d’œuvre ponctuelle (30 000€ de charges salariales à l’année soit 35% du CA total lié à la viticulture). Une grande partie des parcelles étant en appellation Saint-Joseph cela demande des règles précises dans la conduite des vignobles : densité de plantation restreinte (4500 pieds/ha max), taille réglementée (maximum 10 yeux par pieds), rendement maximum à la parcelle (40 hectolitre/ha), récolte manuelle uniquement, conduite des vignes en échalats (tuteur en bois) ou en palissage (fil de fer). Pascal est d’ailleurs le dernier des viticulteurs du coin à réaliser lui même ses échalats en bois d’acacias avec la volonté de faire perdurer cette tradition.

Ces 3 semaines en Ardèche nous ont montré l’importance de ces petites fermes en polyculture élevage, de par leur efficacité de production et leur insertion dans la dynamique du territoire. Sur ce dernier point, Pascal étant également maire de son village et élu à la communauté de commune (au service agricole), il a a cœur de s’impliquer et défendre le monde agricole tel qu’il le perçoit (agriculture à taille humaine et extensive). C’est donc un exemple de plus d’une exploitation qui s’implique à l’extérieur et au niveau politique. Et nous comprenons aussi que c’est un moyen de sortir parfois de la « routine » qui peut s’installer dans ce milieu mais également une énorme richesse pour prendre du recul sur son activité et s’ouvrir d’esprit.

Thomas Gery