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Nous voici arrivés à l’extrême ouest de la Bretagne, sur la pointe du Raz dans une ferme familiale qui a vu grandir quatorze générations. Anna et Jean-Mathieu ont repris récemment la suite de leur parent mais en apportant leur regard jeune et innovant.

La relève à tout d’abord était assurée par Jean-Mathieu qui a remplacé son père en 2018 au côté de sa mère. Le premier grand changement a été la conversion en agriculture biologique de l’exploitation. Pour cette nouvelle génération d’agriculteurs, il était important de retrouver du sens dans le travail de la terre et de valoriser décemment leur production, dans une région où l’arrêt des quotas laitiers a énormément fait chuter les prix.

La deuxième grande évolution a été la transformation du troupeau laitier 100% Prim’Holstein en le diversifiant grâce à des croisements de races : Prim’Holstein X Jersiais X Rouge Scandinave X Brune des Alpes. Ces croisements multi-voies sont réalisés pour obtenir des animaux plus adaptés au système herbager et très pâturant mis en place (pâturage 300 jours à 330 jours/an en pâturage tournant de 48h/paddock) avec une ration sans concentrés. Le deuxième l’objectif en ligne de mir, est une amélioration de la qualité du lait et notamment l’augmentation de la « fromageabilité » du lait. En effet, la meilleure façon de valoriser au maximum la production de lait, c’est de le transformer en produits lactés et en fromages.

Arrivé à ce stade, c’est Anna, la petite sœur de Jean-Mathieu qui rentre dans la danse. Anna, suite à un BTS agricole, a tout de suite pris la route des fromages avec un objectif très clair : créer sa propre fromagerie sur la ferme familiale. Elle est donc allée se former pendant un an dans l’est de la France entre le Jura et les Vosges. Là-bas, elle a appris les mystères de la technologie fromagère et notamment la fabrication du fameux Munster dans une petite ferme Vosgienne…

L’installation d’Anna avec son frère c’est faite en 2020 suite au départ à la retraite de leur mère. Le projet de la fromagerie a abouti à l’automne 2020 et les premiers fromages sont sortis de caves en Janvier 2021. Et devinez ce que les Bretons ont eu la chance de déguster… des jolies Tommes de « Montagne » et des petits « Esquibian » qui ressemblent étrangement à des Munsters.

Anna et Jean-Mathieu ont fait le choix de déléguer toute la construction de la fromagerie afin de ne pas se surcharger de travail et de continuer à prendre correctement soin des animaux (le travail de maitre d’œuvre en plus d’être agriculteur à plein temps est largement suffisant). C’est également pour eux, l’assurance d’un travail professionnel de qualité qui permet d’avoir un laboratoire fonctionnel sur le long terme. La structure fait 110 mètres carrés et est composée d’une grande salle de fabrication, d’une laverie, d’une pièce d’étuvage, d’un séchoir, de deux caves, d’un vestiaire et d’un magasin de vente. Au niveau du matériel, tout a été pensé pour que ce soit le plus ergonomique possible, quitte à faire du sur-mesure (comme la plateforme de la cuve, par exemple, qui permet d’extraire le caillé sans porter une seule pelle). Le dimensionnement de l’atelier a été calculé en fonction du litrage transformé et du type de produits. L’objectif visé est de 60 000L de lait transformé par an sur les 220 000L produits avec une période plus intense au printemps car la production est à son maximum. Le reste du lait est collecté par Biolait qui dans sa stratégie baisse le prix d’achat sur cette époque printanière mais apporte des primes à ceux qui livrent moins (+ 150€/1000L ) pour inciter les producteurs à ne pas trop produire et ainsi réguler l’offre et la demande.

Outre la volonté de gagner en autonomie alimentaire sur le troupeau, les deux jeunes éleveurs souhaitaient également avoir une autonomie décisionnelle : « élever son autonomie pour cultiver sa résilience ». C’est à travers ces maîtres mots que l’exploitation s’est tournée vers un système simple mettant de côté tous les commerciaux, entreprise de conseil agricole…Pour ce faire : arrêt de l’ensilage de maïs, suppression des concentrés sur le troupeau, formation pour réaliser soit même les IA, soins des animaux en homéo et aromathérapie, arrêt du contrôle laitier…

Les éleveurs pratiquent la mono-traite depuis quelques années. Même s’ils notent une baisse de production de 20%, c’est un réel confort de travail pour eux (2h30 de traite/jours pour 55 vaches). A cet avantage s’ajoute la possibilité de pâturer beaucoup plus loin en mono-traite avec le déplacement des animaux qu’une fois par jour (les vaches ont des parcelles à plus de 2 kilomètres des bâtiments). Cette technique permet également de gagner en taux et donc en fromageablité du lait. Même si les débuts ont été durs avec une forte augmentation des cellules, la sélection génétique et les croisements permettent aujourd’hui de mieux gérer cet élément clé. Les veaux sont élevés avec des vaches nourrices (vaches de réformes ou bien vaches avec beaucoup de leucocytes). Là encore c’est un gain de temps, et de confort pour les veaux qui sont généralement en meilleure santé.

Sur les 150ha de SAU, 25 à 30% sont réalisés en divers cultures de vente (maïs grain, céréales, méteil, sarrasin). Jean-Mathieu se test à différentes pratiques vertueuses sur le principe de l’agriculture régénérative :

  • Un sol toujours couvert : mise en place de couverts végétaux avec une diversité maximum de plantes et réalisation de sous-semis de trèfle et luzerne dans les céréales.
  • Destruction des couverts végétaux avec leur incorporation superficielle (scalpage puis rotavator à 5cm) et l’emploi de ferments lactiques (lactosérum) faisant office de digesteurs pour favoriser la bonne décomposition de ceux-ci.
  • Fissuration ponctuelle du sol avec ajout de ferments lactiques et préparations biodynamiques avant l’implantation de la culture.
  • Implantation si possible sans labour
  • Stimulation de la photosynthèse et du métabolisme de la culture principale avec des pulvérisations foliaires de thés de compost (macération de compost dans de l’eau pour développer des micro-organismes utiles à la croissance des plantes)

Anne Loosfelt