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C’est en plein cœur de la bretagne que notre périple s’achève, au GAEC du « Buis Sonnant », une ferme en polyculture élevage avec un atelier de vaches laitières avec transformation et un atelier de cochons plein-air. Le GAEC est crée en 2016 avec 3 associés : Benjamin/Marion un jeune couple d’ingénieur agro, et Pierre-yves. Les associés ne souhaitant pas rentrer dans le cercle vicieux de la dépendance bancaire pour leur installation, ils font appel à la foncière terre de liens. Cette dernière les a aidé à structurer une SCI (société civile immobilière) agricole et citoyenne comprenant 128 porteurs de parts (250€/part) prêts à soutenir le projet (amis, famille, locaux…). La SCI a donc racheté le bâtiment de la ferme et les hectares autour et les reloue aux jeunes associés. L’objectif de cette SCI est multiple :

  • Permettre aux citoyens de s’impliquer dans l’agriculture et l’alimentation
  • Ouvrir la ferme à d’autres personnes extérieures au monde agricole et partager son métier
  • Ne pas devenir propriétaire en évitant la spéculation foncière et en facilitant la reprise pour les générations futures
  • Limiter l’investissement de départ et l’endettement qui va avec.

A l’origine les bâtiments appartenaient à la grand-mère de Marion et étaient voués à l’agrandissement des structures voisines. Grâce à la motivation et la fougue des jeunes associés, c’est un tout autre projet qui a pris forme. Leur objectif : développer une ferme durable, à taille humaine, créant de l’emploi et participant à l’économie et la culture locale. Un joli challenge qui est aujourd’hui réalisé avec une structure fonctionnelle et toujours en voie d’évolution.

Le GAEC se structure donc en trois ateliers de productions:

  • Un atelier d’élevage laitier comprenant une trentaine de vaches Pie-noir, une race locale et rustique. Le choix de cette race permet de faire du lait riche en taux (matière grasse) pour la transformation (pour faire du bon beurre breton demi-sel), avoir une race rustique de petit gabarit bien adaptée aux terrains humides et au pâturage, et avoir une race mixte permettant une bonne valorisation des réformes et des veaux avec une viande persillée. L’atelier est conduit en vêlages groupés de printemps depuis un an avec l’objectif de fermer la salle de traite pendant 2 mois l’hiver. Cette race s’y prête bien également avec sa facilité de vêlage, sa très bonne fertilité (1,3 IA par fécondation), un IVV inférieur à 12 mois et un très bonne aptitude au vêlage précoce. La reproduction est donc gérée en IA avec 100% en race pure pour conserver la génétique. La période d’IA se déroule donc pendant 2 mois à partir de fin mai et jusqu’à début juillet (3 IA max par vache). La moyenne troupeau est de 2500L/VL sur 9 mois avec une ration essentiellement basée sur le pâturage (100% pâturage de fin février à fin novembre) et une ration hivernale en foin/regain sans concentrés. La gestion du pâturage est gérée en paddock de 48h pour viser des temps de retour de 20/25 jours au printemps. Les veaux sont élevés en cases collectives pendant 1 mois à l’intérieur puis à l’extérieur jusqu’au sevrage pour leur apprendre à pâturer le plus tôt possible. Cette année, les éleveurs ont également testé de mettre un lot de veaux sous vaches nourrices pour gagner en temps et confort de travail. Ils ont donc mis 2 veaux/vache. Cet atelier laitier s’établit sur un îlot de 15 ha de pâturage (50 ares/VL) autour de la ferme et un second de 22ha destinés à la fauche et au pâturage des génisses.
  • Un atelier de transformation fromagère. 80% du lait de la ferme (60 000l) est transformé dans leur propre fromagerie, les 20% restant (15 000l) sont vendus à Biolait. Les locaux et la plupart du matériel ont été achetés d’occasions, chez une ancienne agricultrice qui avait arrêté son activité. L’investissement a donc été assez limité et s’élève à environ 70 000€ (structure + matériel). Le laboratoire est bien équipé car il permet de transformer une grande variété de produits. Un planning est élaboré à la semaine afin de transformer la quantité adéquate pour chaque produit en fonction de la demande. Au niveau de la répartition, environ 40% du lait est destiné à la fabrication de fromage (type Morbier ou type Raclette), 30% est écrémé pour faire de la crème fraiche et du beurre (salé bien sûr !) et le reste est destiné pour les fromages blancs, le riz au lait, les yaourts et la fierté de la maison : le GWELL (produit laitier fermenté). Ce dernier est une spécialité du centre Bretagne, élaboré avec du lait de race Pie Noire et des ferments typiques qui lui apportent sa spécificité en termes de goût et de texture. C’est un produit qui se rapproche d’un yaourt mais avec une fermentation à plus faible température (32°C donc sélectionne des bactéries mésophiles). Cette fabrication est la clé de la réussite de tous leurs fromages car le Gwell est leur seul ferment qu’ils ajoutent dans leur recette de fromage. Cette méthode permet de développer des produits du terroir que nous ne retrouverons nul part ailleurs avec des ferments fermiers. Économiquement l’atelier de transformation permet de valoriser un lait à 1.8€/litres en moyenne (hors livraison à Biolait).
  • Un atelier de cochons plein air est également présent. Toujours en race locale avec le porc blanc de l’ouest. Un cochon rustique adapté à l’élevage en plein air et réputé pour la qualité de sa viande. Les cochons sont conduits en 4 bandes d’engraissement avec un objectif de 70 cochons valorisés/an. Ils sont achetés à leur servage à un naisseur voisin et engraissés pendant 10 mois minimum pour un objectif de poids vif de 110/120 kg. Leur alimentation se compose d’une base de méteil (triticale/pois) (500 kg/cochons) et complémentée avec le lactosérum et le babeurre de la fromagerie pour équilibrer la ration en azote. 12 ha de cultures de méteils (mélange protéagineux, céréales) sont donc destinés à cet atelier pour subvenir aux besoins en farine des cochons. Les lots sont conduits sur 0.5ha de prairie mais cette surface reste trop restreinte pour réaliser un réel pâturage et le prendre en compte dans la ration. L’objectif pour l’année prochaine est d’avoir 6ha au total permettant d’arriver à réaliser un réel pâturage tournant et le valoriser à hauteur de 20 à 30 % dans la ration. L’abatage des cochons se fait dans un abattoir collectif à 5 km de la ferme et la transformation de la viande par un boucher à 10km.Une fois par semaine, 1/2 journée est consacrée à l’emballage des produits et la finalisation des commandes chez le boucher. Les cochons sont valorisés en vente directe sur les mêmes circuits de distribution que le fromage. Économiquement cet atelier permet de réaliser un chiffre d’affaire entre 70 000 et 75 000€ (1000 à 1100 €/cochon) pour une marge brute de 30 000€ (600€ de charges par cochons : achat porcelets,abattage, aliments, découpe, frais élec et eau).

L’organisation de ce petit collectif (2 associés et une salariée à temps plein) est la clé de réussite de cette ferme. Leur premier objectif est d’être le plus efficace possible afin de limiter leur temps de travail et de se dégager un salaire convenable. Aujourd’hui, les associés se tirent 1400€ par mois et la salariée est payée au SMIC avec pour tous, 5 semaines de vacances par an et un week-end sur 3 d’astreinte. Ils travaillent en moyenne 50h/semaine, ce qui reste convenable dans ce domaine. Ils ont acquis cette efficacité grâce à une organisation anticipée des différentes tâches tout au long de l’année et une optimisation du temps passé à la commercialisation. Chaque atelier est géré par un responsable qui prend les décisions stratégiques mais les éleveurs travaillent sur chacun d’eux pour avoir une certaine polyvalence et être en mesure de se remplacer. Une réunion hebdomadaire de 2h est organisée pour faire le point sur les sujets importants, prendre les décisions, et établir le planning de la semaine. L’humain est donc très important sur la ferme et est considéré comme un atelier à part entière. Fin 2020, un associé a quitté le GAEC souhaitant s’installer à son compte. Marion et Bastien ont donc trouvé 2 nouveaux associés qui prendront connaissance des lieux d’ici la fin de l’année 2021 ainsi qu’une nouvelle salarié avec le départ de Garance qui souhaite également s’installer. La ferme étant au départ dimensionnée pour 4 personnes, l’objectif va être de trouver une nouvelle activité pour dégager un salaire en plus (poules pondeuses, maraîchage plein champs…).

Bilan de ces 3 semaines : Nous avons été agréablement séduit par cette ferme, qui nous a réellement montré qu’il est possible de s’installer sans s’acharner au boulot mais en mettant en place une efficacité de travail basée autour du collectif et de l’humain. La vision de Marion et Bastien sur le métier de paysan est également très intéressante. Comme ils le disent « la vie de paysan nous la voyons comme une liberté sans date de fin. Ça peut durer 10 ans, 20 ans, on n’en sait rien ». Ils ont donc construit leur modèle sur ce caractère éphémère en ne souhaitant pas devenir propriétaire des bâtiments et du terrain, en limitant leur investissement de départ (le capital du GAEC est au minimum possible, soit 500€/associés) et en facilitant les départs/transmissions (faible apport de capital, organisation du travail). Aujourd’hui ils réfléchissent également à la possibilité de créer une SCOP plutôt qu’avoir le statut de GAEC. Ce statut de SCOP a un double enjeu :

  • Permettre une meilleur protection sociale des paysans (l’agriculteur est considéré comme salarié et a donc une meilleure protection sociale qu’en étant chef d’exploitation).
  • Faciliter la reprise agricole en ayant une transmission déconnectée du capital social : En SCOP, l’augmentation du capital de l’entreprise est impartageable. L’apport initial des associés ne peut pas faire l’objet de plus-value.

Aujourd’hui comme nous précise Bastien, le gros vis de l’agriculture c’est l’appât de la propriété et de l’investissement qui amène à créer des grosses structures souvent ireprenables par la suite ou nécessitant de gros emprunts banquiers qui alimentent de nouveau le cercle vicieux agricole. Bastien et Marion font en effet partis des rares agriculteurs qui préfèrent payer les cotisations sociales en augmentant leur prélèvement privés plutôt que d’écouter leur conseiller de gestion souhaitant mettre en place des stratégies de défiscalisation en investissant dans du nouveau matériel à travers des emprunts bancaires.

Thomas Gery